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Bonus

En « bonus », un compte rendu pour l'association d'une maraude avec le SAMU Social en 2004...

Cadre

Dans le cadre d'échanges inter-organisme, l'association envoie des maraudeurs dans d'autres organismes tels qu'Emmaüs, le Samu social, la Croix Rouge, etc. pour avoir des infos, des impressions, des idées, pour communiquer.

Ce document raconte (il était une fois ...) ma maraude avec le SAMU social.

Hello, my name is Cedric

J'ai rendez-vous à 20h30 au siège du SAMU social dans le 12ᵉ.
Dès mon arrivée, les gens sont contents que je vienne bosser avec eux. Personne ne sait qui je suis, ni ce que je fais mais ils sont contents quand on répond "oui" à leur «Tu viens avec nous ?».
Les maraudes du SAMU social ont des équipes de 3 personnes (Équipe Mobile d'Aide) composées d'un chauffeur, d'un infirmier et d'un travailleur social (on peut mettre un "e" à chaque poste selon les équipes) qui sont tous employés par le SAMU social ou détachés de la SNCF, d'EDF, des hôpitaux de Paris, etc.
On me présente au responsable de la soirée, j'ai droit à une petite visite du centre d'appel du 115 et des postes de coordinateurs.
Je m'étais toujours imaginé le central du 115 avec des opératrices en blouses blanches, des indicateurs partout, et les coordinateurs sur une estrade, véritables hommes orchestres avec 2 téléphones dans chaque mains et un casque sur la tête. Ben, non, ils font le même boulot que ce que j'imaginais mais avec moins de matos.
J'ai même pu jeter un coup d'œil à leur carte de Paris ! Chaque véhicule a un petit boîtier qui signale sa position et permet de connaître l'emplacement des interventions de chaque équipe en temps réel.

C'est parti pour la réunion. Compte rendu de la veille, consignes pour la soirée, constitution des équipes et répartition des arrondissements. Chaque équipe s'occupe d'un secteur et ce soir je pars sur le 2, 9 et 10. Ils utilisent un cahier où chaque équipe peut signaler les personnes à suivre, à revoir, quand, pourquoi, etc. Les comptes rendus ne sont remplis que sur une seule face pour faciliter les photocopies et les fax.

Un petit café avec mon équipe et d'autres maraudeurs, chaque travailleur social vient d'une formation différente, BTS, DUT, etc. (voeux d'Emmanuelli), les chauffeurs viennent souvent de la SNCF ou d'EDF. Certains veulent des nouvelles d'une personne prise en charge la veille, d'autres cherchent des remplacements de garde. Ça papote.

Gentleman, start your engine !

21h00, on part sur les chapeaux de roues. Chaque équipe a reçu les signalements venus du 115 et les gens à revoir/chercher. Il faut aller chercher les gens et les emmener, s'ils le veulent, dans les centres. La partie maraude, au sens de l'association, c'est pour plus tard. On fonce.

Premier étonnement, ils réveillent les gens et les touchent. Il faut vérifier si leurs mains ou têtes sont froides, s'ils sont conscients. Il y a déjà eu des signalements d'hypothermie la veille et la nuit s'annonce très froide. Par la parole et des gestes lents, ils arrivent à prendre une main, à réchauffer.

Parfois, on fait des demi-tours pour trouver l'adresse, parfois, on ne trouve personne. Chaque intervention est notée, qui a été trouvé, qui a été pris, pourquoi, comment.

Qui vous aidera ?

C'est l'inscription de l'église devant laquelle on trouve M. Léger, celui qui avait été aspergé d'essence puis brûlé. Il est un peu saoul (bon, c'est vrai ... beaucoup ...), sa main porte encore pour longtemps les cicatrices des greffes, elle est gonflée. Pendant, qu'il est pris en charge, d'autres personnes viennent au camion. Certains veulent juste un Bolino, d'autres veulent être hébergés.
Les maraudes ont de l'eau chaude et des soupes lyophilisées, des sachets de café, lait, sucre. Pas plus puisque les gens sont normalement emmenés dans les centres où ils pourront se reposer et prendre un repas. Ce soir, nous avons aussi trois sacs de couchage et au moins quinze couvertures.
Un des hommes qui est venu ne parle pas un mot de français. Par gestes et dessins, on arrive à comprendre, il est polonais, il veut manger et ne pas dormir dehors. On a son nom et son prénom mais pas sa date de naissance. C'est utile pour voir s'il est déjà dans les fichiers du SAMU social. Il comprend que je lui demande s'il a des papiers et il me tend son passeport. C'est très troublant. C'est le même homme mais sans barbe, en costume, souriant, propre sur lui comme on dit. Quand on écoute leurs histoires, d'où ils viennent, ce qu'il s'est passé, etc. on a parfois du mal à imaginer leur vie d'avant. Mais là, j'ai la photo sous les yeux. Ce n'est pas mon imagination, c'est pas "ça devait être ...", j'ai la photo. C'est troublant.

Bonjour monsieur, que puis je pour vous ?

Phrase clef des temples de la consommation, c'est aussi comme ça, à peu près, que l'on aborde les gens. Sourire, à leur hauteur, sans lever la voix. En remontant vers la gare de l'Est, on aborde un monsieur, il dort mais ses couvertures sont mal mises et ses pieds dépassent, un bras aussi mais pas le plus petit bout de nez. Contact physique pour vérifier s'il est "froid". Il sursaute. Il ne veut rien, il ne dit rien, parle par gestes. Il a le nez défoncé, typique des boxeurs mais aussi de ceux qui ont subi la violence de la rue depuis plusieurs années. Magalie, l'infirmière, insiste, le rassure mais il ne veut pas venir dans un centre. Elle demande s'il veut bien qu'ils repassent demain. C'est OK. C'est déjà pas mal !
On se dirige maintenant vers Montmartre, toujours pour des signalements. On trouve une des personnes assises sur un pas de porte entre deux restos grecs, il est frustré, énervé. Je vois ses doigts qui font du piano sur son genou quand on pose des questions. On est déjà trois avec lui et la rue est très étroite, je me retire pour apaiser au cas où ce serait dû à notre nombre. Peut être qu'on le gène dans sa manche. Il n'ouvre pas la bouche et parle par gestes de la tête. Il sursaute quand on essaye de lui prendre la température à l'oreille et ne veut pas de contact. Apparemment, ce n'est pas de l'énervement mais de la frustration. Il est très replié sur lui et ses yeux évitent les nôtres. Il est enfermé dans son propre corps.
On enchaîne les signalements, on fonce dans Paris. Ceux qui sont habitués ou bourrés dorment. Les autres ont les yeux écarquillés. Peur de là où on les emmène ? Peur de la vitesse ? Ils ont l'air un peu perdu.

EMA4 à Coordination, je suis à Montrouge.

Après un petit « arrêt redisposition » dans le camion pour calmer le polonais qui n'apprécie pas que son voisin se laisse aller, base en vue. Tout le monde débarque !
C'est dingue comme on dort quand on est bourré ! 1 minute pour le réveiller à 3 dessus !

Les personnes sont orientées vers la restauration et leurs chambres.
Il y a déjà 3 autres équipes SAMU social présentes. Un des bénéficiaire attend de passer avec l'infirmière du centre, il est bien plein, gueule sur la terre entière, veut danser et ne voulant pas se lever pour uriner ... fait sur place. Sergio est là aussi (pour ceux qui ne le connaissent pas c'est un habitué du 14ème et de Montrouge) et pense que toutes les insultes sont pour lui, il s'énerve et tient à attendre l'agité demain matin pour le jeter par dessus le périphérique ... Quinze minutes pour le calmer et le convaincre de ne pas partir.

La coordination envoie directement par fax, les nouveaux signalements pour chaque équipe.

Equipe Matrix d'Aide n°4 : reloaded

En cherchant un signalement vers Gare du Nord, on trouve Larbi. Il est blotti dans des couvertures, sur le pas de la porte d'entrée d'une pharmacie dont le sol en pierre est gelé et les parois en métal également. 4 enfants et 1 femme, il a tout perdu. Il pleure et s'excuse de nous déranger. C'est toujours aussi remuant de voir un homme pleurer dans ces circonstances. Il ne veut pas venir avec nous, juste mourir, là.
Après relevé de la température, on lui explique que ce n'est pas pour ce soir, parce qu'il va falloir qu'il nous suive, Larbi est en danger de mort, on ne peut pas le laisser dans la rue. Il a 32.7 de température. Je n'ai pas inversé les chiffres, vous avez bien lu : 32.7. Je pensais qu'on était mort à cette température ... Mais le corps s'adapte et certains exclus de longues dates résistent mieux. Couverture de survie immédiate et une autre en tissus.
Il accepte de venir dans le camion. A l'arrière, on se relaie pour lui parler et faire en sorte qu'il ne s'endorme pas. A l'arrêt d'après, je reste avec Larbi dans le camion. Il somnole depuis 10 minutes, tout à coup, il enlève les couvertures, se redresse et fait les marionnettes avec les mains. En fait, il connaît la chanson qui passe à la radio, un vieux tube des années 80, il me regarde en pleurant et en souriant et me dit qu'il était musicien. Dès que le morceau finit, il se remet sous les couvertures et perd en 3 secondes toute vitalité. Les effets de la musique, c'est toujours aussi impressionnant !

On arrive sur un autre signalement, il est sous trois, quatre couvertures et une bâche. Il ne parle qu'avec le pouce levé pour "ok" et "merci" ou la main tendue, interrogative, en signe de "je ne sais pas". Le SAMU social a l'habitude de passer le voir mais il n'a jamais accepté de venir dans un centre, il est venu une seule fois dans leur structure spéciale de Saint Michel. Le chauffeur voudrait qu'il revienne faire un séjour, tous trouvent que son état se dégrade.
D'autres personnes arrivent, ils voudraient dormir au chaud. Hop, dans le camion. Comme en début de soirée, on s'arrête pour une personne, et on repart avec cinq autres.

L'effet de la musique est passé, Larbi est très faible. Après une autre prise de température, direction les urgences de Lariboisière, malgré les couvertures et le chauffage du camion, Larbi continue à descendre : 31.9 ! En chemin, il s'excuse encore de nous déranger et nous demande de le laisser puisqu'il veut juste mourir tranquille. Un des nouveaux arrivants du camion se moque de lui, lui n'a pas perdu 4 enfants mais un seul sauf que ce n'est pas une perte de contact mais parce qu'il est mort et que l'important c'est la gentillesse et le cœur. Ça ne remonte pas vraiment le moral de Larbi.

Arrivée aux urgences, on se fait engueuler "Veuillez attendre ... C'est marqué sur la porte !". Comme pour les pompiers, on a toujours l'impression de les emmerder. Finalement, ils prennent Larbi. On est pas très rassuré sur le traitement.

Code pénal : Article 223-6

Un autre signalement, Alexander. En fait, ils sont 2 mais il y a un gros chien noir qui dort à côté du second monsieur et tout le monde connaît le vieil adage ouzbek : "Je suis un gros chien noir qui dort, si tu me réveilles : j'te mords".
Alexander accepte la prise de température ... 33 ! On a un doute sur le thermomètre, on teste sur nous : 37. "Alexander, on ne peut pas vous laisser ici ...". On lui propose le centre mais "pour une nuit, à quoi ça sert, demain je suis dehors !".
C'est pas faux mais pour l'instant ça marche comme ça sur Paris ... Ce soir, ce sont des places d'urgences pour une nuit. Il refuse. Après de longues minutes de pourparlers, il refuse toujours. L'infirmière demande alors les pompiers. On lui explique encore que c'est soit avec nous à Montrouge ou à l'hôpital avec les pompiers mais pas question de le laisser dehors avec ce froid et sa température. Ça a réveillé l'autre monsieur qui maintenant prend un café avec le chauffeur.
Les pompiers arrivent et tentent encore de le raisonner. C'est moins doux et calme mais ils ne peuvent pas rester 2 heures sur ce cas. Le chef du camion, attend, attend, puis décide d'employer la force. Alexander commence alors à devenir violent, il veut juste qu'on le laisse tranquille. Les "kurva" pleuvent, au moins, maintenant, on sait qu'il est polonais. Trois pompiers le maintiennent, il sort un couteau, l'un d'eux s'en empare et brise la lame sur le trottoir, on essaye de le calmer mais il ne nous entend plus. On ramasse ses affaires et on les met dans le camion. On ne peut rien faire d'autre. Le pompier qui a pris le couteau est furieux, il doit pas avoir l'habitude que les gens qu'il vient secourir l'accueillent avec une lame. On embarque et le monsieur au chien nous dit "Au revoir" avec un jouet plein de petites lumières rouges et bleues qui clignotent. Il sourit, on sourit. Mais on suit le camion jusqu'au bout de la rue. Les sourires tombent. Ils vont tout droit, on doit prendre à gauche. On se demande ce qui attend Alexander. Qu'est ce qu'il va penser du SAMU social, des autres maraudes ?
Frustrant.
Gênant.

Pause

Après un autre aller/retour à Montrouge, pause à la case départ.
Repas en barquette sur plateau à la cafet'. Je me redis que ce serait vraiment pratique si on avait des rations individuelles en maraude !
On discute d'Alexander, de la place des bénévoles et des professionnels, les différences entre maraudes, etc. Le coordinateur nous annonce qu'il y a déjà eu 8 cas d'hypothermie, il est 3h30 du matin.

Hôpitalthon

Inquiets pour Larbi, on demande si on peut aller le chercher à Lariboisière, l'hôpital est d'accord et nous n'avons plus de signalement dans notre secteur.
Retour à Lariboisière, il est seul dans une petite salle de soin, allongé, habillé mais sans ses couvertures. Larbi ne veut toujours pas venir, il est seul dans la pièce, tranquille, il se repose. On prévient les infirmières qu'il préfère rester : "Ah non, si il reste, on le met dehors.". Euh ... Attendez ... C'est bien un hôpital, ici ? Non ? On demande alors quelle température il a. Gênés, ils ne l'ont pas prise depuis les deux, trois heures qu'il est là ! Ils sont cinq à papoter dans la pièce juste en face et personne peut prendre cinq minutes pour vérifier sa température ? Une jeune infirmière est envoyée : 35.7. "C'est pas beaucoup." admet la jeune demoiselle. L'infirmière du SAMU, lui reparle encore, explique qu'on ne veut pas qu'il soit dehors dans cet état à 4h du matin. "Je vais vous faire confiance". Ouf ! Larbi, tu as le camion pour toi tout seul, on rentre tranquille. On le dépose à Montrouge.

Générique

Voilà comment s'achève une nuit humaine, agitée et très formatrice avec l'EMA4 du SAMU social. Je marche vers ma maison chaude en repensant au rôle des maraudes de l'association. Nous ne sommes "que" des bénévoles mais si une seule chose peut faire que nos maraudes servent, c'est le lien social. On est pas médicalisé, on ne sert que de relais avec les structures d'hébergement mais on crée du lien social avec des gens qui sont ignorés et rejetés. Les équipes professionnelles comme Emmaüs ou le SAMU social apportent de l'humanité, des soins, de la bouffe, de l'écoute, des aides, etc. Aux maraudes de l'association, on a de l'humain, un peu de bouffe, un peu d'aide et de l'écoute. Ça me semble suffisant comme raison d'être. Mais je suis quand même un peu jaloux et admiratif de leur professionnalisme et de leurs moyens.
Parfois, je me dis que si on ne parlait pas avec telle ou telle personne, elle pourrait rester des jours sans que quelqu'un lui parle. Pour moi, ça justifie tout.

J'espère qu'ils dormiront bien au chaud, il est 5h18, paris s'endort, Paris s'éveille.

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